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Kua et Himba

Kua et Himba

VALIENTE-NOAILLES, Carlos. 2001. Kua et Himba. Deux peuples traditionnels du Botswana et de Namibie face au nouveau millénaire. Catalogue d'exposition. Genève: Musée d'ethnographie. 202 pages, 80 ill. N° ISBN: 2-88457-011-X.

Prix: 10 CHF.

Ce livre traite de l'avenir incertain, au début du XXIe siècle, de deux peuples traditionnels rencontrés et étudiés par Carlos Valiente-Noailles, anthropologue et professeur de droit constitutionnel argentin. Il s'agit des chasseurs-cueilleurs Kua (Bochiman) de la Central Kalahari Game Réserve (Botswana), chassés de la Réserve centrale du Kalahari, et des éleveurs Himba du Nord-Ouest de la Namibie, dont les terres vont en grande partie disparaître sous les eaux si la Namibie réalise le barrage d'Epupa sur le Kunene. Ces deux peuples d'Afrique australe, au sud du 17° parallèle, n'ont pas de rapports, en raison de la distance qui les sépare. Néanmoins, tous deux luttent pour conserver leurs terres.

Qu'est-ce qui peut réunir deux peuples aussi éloignés et différents? Les Kua, jadis appelés Bochiman et qui sont les derniers chasseurs-cueilleurs du sud de l'Afrique, et les Himba, fiers éleveurs de bétail de Namibie? Eh bien, comme le fait remarquer Carlos Valiente-Noailles qui les a particulièrement bien étudiés, c'est qu'ils forment des minorités culturelles souvent considérées à tort comme faisant l'obstacle à la modernisation et au progrès économique. Mais pourquoi ne leur a-t-on jamais demandé leur avis à ce sujet? Ne représentent-ils pas une certaine richesse pour leur propre pays et pour l'humanité tout entière? C'est parmi d'autres, les questions qui sont posées à travers l'exposition et la publication qui l'accompagne.

Cette exposition a pour but de montrer qu'au-delà de leur différence bien réelles, ces deux peuples partagent néanmoins de nombreux points communs, qu'il s'agisse de la connaissance intime de leur environnement, de l'attachement à leur territoire, des activités de subsistance, de la solidarité et de l'affection au sein de chaque société ou du besoin de vivre ensemble. En outre, ces deux groupes très éloignés de l'Afrique australe ont subi ou subissent de plein fouet les effets de la modernisation. Ils ont par exemple les mêmes difficultés à faire reconnaître leurs droits sur le territoire qu'ils habitaient il y a peu ou qu'ils habitent encore aujourd'hui.

L'exposition est basée sur le résultat des recherches menées à partir de 1977 par l'ethnologue et juriste argentin Carlos Valiente-Noailles, qui a réuni et offert au Musée une collection unique d'objets, de photos, de films et d'enregistrements sur ces deux populations.

Expéditions au Kalahari (Botswana) et dans le nord de la Namibie

C'est en 1977 que j'effectuai ma première expédition à la Central Kalahari Game Reserve, où nous avions pénétré par une rivière fossile, en partant de Lonetree Pan (au sud-ouest). Nous y avions alors rencontré des habitants n'utilisant pratiquement que des objets matériels fabriqués par eux-mêmes, en majeure partie avec des matériaux du milieu environnant: bois, racines, graines, peaux, cuirs, tendons, os, poils de girafes et d'antilopes, cornes, piquants de porcs-épics, carapaces de tortues, œufs d'autruche.

En 1979, j'allais entièrement traverser la Réserve pendant la saison sèche, du sud-est au nord-ouest; un territoire de 53'000 km2 dont l'entrée était interdite, sans ressource en eau, sauf un puits construit à l'ouest.

Dans deux camions chargés de 1600 litres d'essence, 800 litres d'eau, 6 roues de secours et d'autres éléments utiles à notre tâche qui devait durer 20 jours, accompagnés par 8 personnes d'une extraordinaire qualité humaine et chacune experte dans le rôle qui lui incombait; nous avons mené à bien notre mission fructueuse qui nous a permis la visite d'une partie importante de la Réserve et de ses habitants et la rencontre avec le peuple de Menoatse. Au début, ce fut avec 19 personnes de ce territoire (dans lequel j'ai réalisé jusqu'en 1992 l'essentiel de mon travail), tout près du hameau du même nom qui était le leur (les Kua ne sont pas des nomades).

À l'époque, le groupe s'était éloigné de quelques kilomètres de Menoatse; certains avaient continué jusqu'à l'unique puits de la Réserve, celui de #Kade Pan (un voyage de 120 km; 2 jours et demi à pied et 3 jours avec des ânes). Ceux que nous avons rencontrés vivaient sous les arbres, dans une zone où il y avait des tubercules Raphionacme burkei, riches en eau. Ils n'avaient pas pu continuer, manquant d'ânes pour transporter les femmes âgées et ils attendaient que ceux qui suivaient les ramènent. Ils étaient pressés par la soif: pour survivre, il faut trouver des bulbes en quantité suffisante – tâche à la charge des femmes – pendant que les hommes tressent des cordes végétales pour faire des pièges et capturer de petites antilopes. C'est ainsi que nous avons créé un lien très fort avec les gens de Menoatse.

En 1992, lors de la dernière des douze expéditions menées dans la Réserve centrale du Kalahari, nous avons trouvé les Kua de Menoatse rassemblés par ordre du gouvernement, premier pas vers l'expulsion de leur territoire. Le même épisode s'est reproduit dans d'autres endroits de la Réserve. Deux ou trois mille Kua se sont vus obligés d'abandonner leur terre qu'ils habitaient pourtant depuis très longtemps, sur laquelle ils étaient nés, avaient vécu et enterré leurs ancêtres, pour être emmenés vers des endroits inconnus hors de la Réserve, totalement inadaptés à leur économie traditionnelle et cause de toutes sortes de misères. Comme je l'ai écrit, il y a déjà 21 ans: «Ces Kua ne sourient pas».

Les camions du gouvernement entraient et sortaient du lieu où nous nous trouvions et notre tâche était devenue impossible, voire interdite. Alors, dans les mêmes camions et avec la même équipe, nous nous sommes déplacés vers le nord de la Namibie, nous installant dans un territoire proche de la frontière avec l'Angola et là, nous avons fait connaissance avec les Himba...

Très vite, nous avons trouvé à la fois beaucoup de contrastes et de similitudes entre leurs coutumes et celles des Kua. Polygames, éleveurs (leurs femmes cultivant aussi la terre à la houe), les Himba ont des chefs qui maintiennent un ensemble de normes, tandis que les Kua sont monogames, chasseurs-cueilleurs (élevant quelques chèvres pour le lait) et ont une société sans chef, régie par un fort principe de liberté, avec des règles en général simples et peu nombreuses.

Nous sommes retournés dans le territoire des Himba en 1993, 94, 95, 97 et 99 (cette année-là, j'ai contracté une malaria qui m'a laissé des séquelles, renvoyant à plus tard de nouveaux voyages), soit en tout 6 expéditions, avec des permanences continues de trois semaines chacune, la plupart en pleine saison des pluies ou à la fin de la saison pluvieuse et au début de la saison sèche; au total jusqu'ici 18 semaines en 6 différentes périodes.

Carlos Valiente-Noailles

Les Kua: un peuple en déclin

Kua: dénomination utilisée par les Bochiman des groupes linguistiques de la Réserve, dont la signification est la même que le mot européen Bochiman, et son synonyme en setswana (langue prédominante au Botswana): Masarwa (pluriel: Basarwa).

Jadis, les Kua vivaient sur de vastes territoires: du Zambèze au cap de Bonne-Espérance, de l'océan Atlantique à l'océan Indien. Ils vivaient en petits groupes, se déplaçant au rythme des saisons, à la recherche d'eau et de nourriture.

Au début des années 1960, le gouvernement colonial anglais crée la Réserve Centrale du Kalahari. Six ans plus tard, la déclaration d'indépendance du Botswana marque le commencement d'une nouvelle ère économique dominée par l'exploitation des mines et l'élevage.

Ces événements précipitent l'exode forcé des Kua. Plusieurs milliers d'entre eux sont, dans un premier temps, regroupés en un lieu précis de la Réserve où le gouvernement cherche à les fixer. Mais depuis quelques années, les pressions se font de plus en plus fortes pour chasser les derniers Kua de leurs terres. Aujourd'hui, ils apprennent à vivre dans un tout autre monde que celui où ils ont évolué pendant des siècles. Ils habitent dans des baraquements situés sur un terrain exigu, privé d'eau courante. Pour survivre, ils se font engager comme main-d'œuvre à bon marché dans des fermes, comme domestiques, ou vendent des objets artisanaux.

Une telle adaptation forcée, synonyme de perte des valeurs traditionnelles, a déraciné les Kua, les conduisant à la misère, à la violence et à l'alcoolisme.

Les Himba: une communauté éclatée

Himba est la dénomination habituelle hors de leur groupe; leurs véritables noms, dans leur langue, sont Ovahimba (pluriel) et Muhimba (singulier).

Considérés dans les années 1970 comme les éleveurs de langue bantou les plus riches d'Afrique, les Himba ont vu leur cohésion sociale très affectée lors de deux événements majeurs de leur histoire. Au début des années 80, une sécheresse de trois longues années décima la majeure partie du cheptel bovin. Elle fut suivie du conflit armé mené par les rebelles namibiens pour gagner l'indépendance de leur pays.

Aujourd'hui, alors que la Namibie indépendante s'initie au développement, les Himba voient leur mode de vie pastoral disparaître, supplanté par le salariat. Beaucoup de jeunes se sont engagés dans l'armée et la police namibiennes. Influencés par la technologie occidentale, ils se convertissent à un nouveau style de vie.

Les Himba sont aussi confrontés à des pressions économiques et écologiques venant de l'extérieur: l'inondation de leurs meilleurs pâturages par le futur barrage d'Epupa ou encore l'augmentation de la misère urbaine. A Opuwo, ville du Kaoko, l'alcoolisme et les maladies font partie des nouveaux fléaux. Dans un tel contexte, les Himba réussiront-ils à trouver un juste équilibre entre pastoralisme et modernité?

Caroline Paerli

Sommaire

Préface, de Louis Necker

Introduction, de Claude Savary

Kua et Himba, de Carlos Valiente-Noailles

Les Kua (Bochiman) de la Réserve centrale du Kalahari (Central Kalahari Game Reserve, Botswana)

La réserve centrale du Kalahari et ses habitants

L'économie de subsistance

Les relations hommes-femmes chez les Kua

Le mariage

La résidence du couple

La discrétion par rapport au sexe

L'homme et la femme tout au long de la vie

La parenté

Société et liberté

Valeurs de la société

Les règles et les méfaits

La réaction sociale

Les règles de la conduite privée

Le but des interdictions

La Réserve, ses habitants et l'État

La situation actuelle de la Réserve

Les Himba du nord-est du Kaokoland (Namibie)

Les Ovahimba, dits Himba

Le territoire

L'économie

Les relations hommes-femmes chez les Himba

L'homme et la femme, de la fécondité à l'enterrement

Les valeurs à la base de la cohésion sociale

L'organisation sociale: le pouvoir et les territoires

Comparaison sommaire de certains traits des Kua avec les Himba

L'avenir des Kua et des Himba

Les menaces

Annexes

La cérémonie du mariage chez les Himba, par Maria del Rosario Cárdenas

Pyramide comparative des deux peuples Kua et Himba