Renouvellement

L’exposition permanente du MEG « Les archives de la diversité humaine » a été inaugurée en 2014 lors de l’ouverture du nouveau bâtiment du Musée. Déclinée en six parties correspondant aux cinq continents et à la collection d’ethnomusicologie, l’exposition était introduite par un prologue consacré à l’histoire des collections. Renouvelée en 2024 afin de remplacer environ un tiers des objets en raison de leur fragilité, le nouveau parcours de l’exposition reflète le travail en cours sur la recherche de provenance et la décolonisation des pratiques muséales et ethnologiques. L’espace du prologue a été démonté et offre un nouvel espace d’exposition qui met désormais en valeur les interactions entre les collections du musée et plusieurs partenaires, membres des communautés d’origine des collections.

Le renouvellement de plus de 300 objets offre une nouvelle conception des archives comme un espace vivant, animé par des objets qui relient le passé, le présent et le futur des sociétés humaines. Au sein de l’exposition permanente, un nouveau « Parcours dialogue » invite à entendre de nouveaux récits sur l’histoire, la signification et la place toute particulière qu’occupe aujourd’hui une sélection d’objets dans les collections du MEG. Par le biais des collaborations initiées avec les communautés sources, certains d’entre eux seront peut-être amenés à rejoindre leurs pays d’origine, tandis que d’autres créeront l’occasion de s’interroger sur leur nature, leur usage et le respect qui leur est témoigné en tant qu’objets sensibles. 

Parcours Asie

Indépendamment de la redécouverte de pièces oubliées que nous avons profité de remettre en valeur, la grande rotation d’œuvres dans les vitrines de l’exposition permanente a permis au département Asie de repenser les collections sur quatre fronts particulièrement importants.

En premier lieu, ce travail de mise à jour a permis de repenser, de manière réflexive, la nature des collections asiatiques. Cette région du monde, volontiers fantasmée par l'Occident depuis plusieurs siècles, est présentée de manière à mettre en parallèle une vision objective des grandes aires culturelles orientales avec la manière dont le regard européen s'approprie ces espaces. La fascination pour l'Orient est devenue un motif important dans les arts et la littérature de l'Occident dès le 18e siècle. Créé en 1901, le Musée d'ethnographie de Genève témoigne immédiatement de la vogue pour les objets extrême-orientaux. Une partie importante des collections asiatiques du MEG reflète encore aujourd'hui une vision occidentale de l'Asie, mêlant émotion esthétique et attrait pour l'exotisme. Ainsi, ces collections évoquent autant l'Occident lui-même que les territoires qu'elles prétendent illustrer.

Parallèlement, la rotation des œuvres a permis de corriger des erreurs descriptives factuelles. Un exemple est la jarre scellée de Sumatra, longtemps présentée au MEG comme un récipient contenant du pupuk, une mixture magique controversée à base de restes humains. En vérité, le MEG a toujours tout ignoré du contenu du pot et une récente étude de l’objet laisse penser que le sensationnalisme a pu, par le passé, prendre le pas sur la probité scientifique de l’institution. Il était donc urgent pour le MEG de corriger de tels approximations sans rien dissimuler du processus correctif.

La rotation a également permis de mettre en valeur le fonds, longtemps oublié, de céramique populaire asiatique. Cette collection a été initiée par l'ethnologue et céramologue Horace van Berchem (1904-1982). Collaborateur au MEG depuis 1951 et désireux de donner à l'institution une spécificité disciplinaire unique, il a proposé la création d’un fonds universel de céramique d'usage courant. H. van Berchem, aidé par un réseau grandissant, a lui-même enrichi ce fonds à travers de nombreux voyages de terrain en Europe, en Amérique centrale, en Afrique du Nord et en Asie, entre 1959 et 1971. Cette collection raisonnée a continué de croître au fil du temps et compte aujourd'hui plusieurs milliers de pièces.

La rotation a également permis de mettre en lumière des expressions matérielles plus populaires des grands courants religieux asiatiques : modestes statuettes, souvenirs de pèlerinage, iconographie folklorique ou objets votifs. Le département Asie du MEG conserve, en raison de son histoire, des collections d’art sacré asiatique d’une grande richesse. Ce foisonnement de pièces somptuaires peut parfois occulter le fait que la matérialité du sentiment religieux s’exprime tout autant à travers des objets modestes, qui n’ont, d’un point de vue anthropologique, pas moins de valeur.

Parcours Amériques

Le remaniement de l’exposition permanente du MEG met en valeur les actualités de la recherche en provenance ainsi que les collaborations entre le Musée et les peuples autochtones du continent Américain. Dans l’imaginaire muséal, les Amériques ont souvent été associées aux grandes civilisations précolombiennes et leurs pyramides spectaculaires, aux chasses au bison des « Indiens des plaines » septentrionales et aux chasseurs-cueilleurs de forêts amazoniennes impénétrables. Or, les peuples autochtones du continent nous invitent aujourd’hui à remettre en question ces évocations, à écouter de nouvelles histoires et à nous interroger sur la manière de pendre soin de ces collections au MEG.

Les voix principales de ces nouvelles histoires sont celles des autochtones eux même et le MEG reconnaît pleinement leur droit sur leur patrimoine culturel. Ainsi, la tête réduite, ou tsantsa Shuar anciennement présentée dans l’exposition permanente a été retiré en 2020 faute d’avoir obtenu le consentement formel de la part du peuple Shuar de pouvoir l’exposer. En 2023 un masque sacré de médecine traditionnelle et un hochet cérémoniel ont été retirés de l’exposition et restitués à la demande de la Confédération Haudenosaunee de l’Amérique du Nord. L’exposition publique des masques de médecine est interdite, car cela entrave les devoirs sacrés et les fonctions spéciales des masques. Ces objets font par ailleurs partie du nouveau « Parcours dialogue » au sein de l’exposition qui raconte leurs histoires et signale leurs anciens emplacements dans les vitrines afin de transmettre aux publics leur valeur culturelle et l’évolution des pratiques muséales.

Les dernières recherches en provenance nous permettent de comprendre comment le marché ainsi que le trafic d’objets précolombiens ont contribué au pillage de sites archéologiques par les huaqueros (pilleurs de tombes) entrainant ainsi l’apparition, dès la fin du 19e siècle, d’innombrables faussaires. Grâce à l’excellent état de conservation des tissus préhispaniques provenant de la côte péruvienne, il a été possible par exemple de reconstituer ou de fabriquer de « fausses » poupées Chancay à partir de morceaux de tissus archéologiques.

D’autres additions au parcours Amériques mettent en valeur la création contemporaine autochtone, comme la peinture intitulée Tïntukai (déforestation) réalisée par l’artiste Guyanaise Ti’iwan Couchili en 2020. Cette œuvre traite des ravages de l’extraction illégale de l’or, l’une des principales causes de dégradation de l’environnement et des conditions de vie des populations locales en Amazonie. Cette nouvelle configuration de l’exposition met également à l’honneur quatre masques de danse créés pour le MEG par le sculpteur Ts’msyen Gyibaawm Laxha – David Robert Boxley de Metlakatla en 2021 pour évoquer le conte traditionnel du Prince qui avait été enlevé par le Saumon et nous rappeler notre responsabilité collective envers les ressources naturelles.

Parcours Europe

Le remaniement de l’exposition « Les archives de la diversité humaine », a permis de présenter une sélection de la collection d’ex-voto suisses réunie par le collectionneur genevois Georges Amoudruz (1900-1975) tout au long de sa vie.

Ex voto est une ellipse d’ex-voto suscepto, une locution latine qui signifie littéralement « selon la promesse faite ». Cette formule était souvent apposée sur les objets offerts dans les sanctuaires chrétiens pour remercier le destinataire divin d’avoir exaucé une prière. L’usage a conduit à désigner par la même expression l’objet même de l’offre, en l’appliquant également aux offrandes votives du monde antique, d’abord, puis à celles d’autres contextes culturels et religieux. Un grand nombre d’ex-voto est lié à la sphère de la santé mais ils peuvent toucher tous les domaines de la vie, les travaux des champs, les voyages, le commerce, la maison, les membres de la famille, les animaux domestiques, les biens matériels, les immeubles, les propriétés terrières et les outils de travail.

En théorie, tout objet utilisé dans ce contexte peut être qualifié d'ex-voto. La distinction entre un objet d'usage courant et un objet votif repose sur la fonction qui lui est attribuée : dans le cas de l'ex-voto, ce qui importe n'est pas la valeur intrinsèque de l'objet, mais la signification dont il a été investi au moment de l'offrande. Puisque tout objet peut devenir un ex-voto, cette catégorie inclut des items très variés, plus ou moins précieux en fonction du statut, des moyens de l'offrant ou de la nature de la demande formulée. Ainsi, il est possible de trouver dans les sanctuaires aussi bien des béquilles usagées que des bijoux somptueux, des outils de travail comme les poids de métier à tisser ou encore des accessoires vestimentaires tels que des boucles de ceinture.

S’il est impossible d’énumérer de manière exhaustive toutes les formes possibles d’ex-voto, une classification entre les différents types (Morel 1992) permet toutefois de distinguer les objets construits spécialement pour être voués de ceux qui ont été fabriqués pour une autre destination et qui ont ensuite été investi de cette mission si particulière.

Pour que l’objet puisse passer de la sphère profane à la sphère sacrée, il faut qu’il soit rendu d’une certaine manière 'différent'. Ce changement de statut peut advenir par un rituel, c’est le cas des processions au cours desquelles les offrandes peuvent être apportées aux sanctuaires, ou en modifiant les caractéristiques physiques de l’objet, par exemple en y ajoutant des inscriptions.

Cependant la caractéristique principale des ex-voto n’est pas toujours visible à l’œil nu, car elle découle de l’intention votive, en ce sens les ex-voto deviennent après leur consécrations des objets liminaires, c’est-à-dire des objets à la frontière entre des mondes très différents : il servent d’intermédiaire entre la sphère privé et la sphère publique car il doivent être exposés à la vue ; ils font référence aux échanges et peuvent avoir une grande valeur symbolique ou marchande, mais ils sont soustraits systématiquement à la circulation commerciale des biens.

Un ensemble de petites toiles et de tablettes peintes issues du territoire helvétique est présenté dans l’exposition permanente. Les scènes illustrent l'événement ou l'objet auquel se réfère la grâce reçue, offrant ainsi une meilleure compréhension de certains aspects de la dévotion populaire dans un pays traversé par différentes cultures, langues et sensibilités religieuses.

Parcours Afrique

Quelques mois avant de disparaître en 2013, le célèbre sociologue malien, Youssouf Tata Cissé, est venu rendre visite aux masques cimiers ciwara d’origine bamana conservés au MEG. Il venait y jouer son propre rôle, pour le tournage du film San de Jacques Sarasin, dont les réserves Afrique du MEG constituaient le paysage d’une scène. Il affirmait ceci :

« Les masques constituent, avant tout, des objets culturels confectionnés avec gravité, baptisés comme des êtres humains, consacrés comme des divinités ou esprits d’ancêtres, et vénérés comme tels. Qui ne connaît pas l’origine d’un masque, les mythes, chants et pas de danse qui lui sont propres, ignore tout de ce masque-là. »

Ses mots reflètent la vérité des collections africaines des musées, composées d’objets ou de fragments, dont l’identité, le récit de création, de propriété tout comme le parcours hors du territoire d’origine restent souvent trop peu documentés. Les changements opérés dans les vitrines africaines de l’exposition permanente du MEG « Les archives de la diversité humaine » appuient une volonté de décentrer le discours en proposant des descriptions signées par les invités désireux de poser leur regard et leur expérience sur l’interprétation des pièces ici mises en exergue.

Dans cette dynamique, l’artiste éthiopienne et suisse, Kidist Degaffe, a accepté de choisir, dans le corpus éthiopien du MEG, des objets propres à dialoguer avec son portrait d’une femme portant autour du cou l’injera, la galette de teff éthiopienne, en « symbole de la ténacité et de la migration des peuples ». Cette expérience de co-construction est, selon elle, « un laboratoire, qui a permis d’interpréter, redécouvrir, revivre les objets à travers le prisme du musée ».

Le remaniement de certaines vitrines exprime aussi, en silence, les critiques bienveillantes, essentielles, qui ont été transmises au MEG ces dix dernières années et que le Musée souhaitait respecter pleinement. Ainsi, les objets sacrés et funéraires contenant des reliques ont été retirés de leurs socles et sont désormais isolés. Les bronzes et la défense d’ivoire du Royaume de Benin, au cœur des débats actuels autour de la restitution, retrouveront leur place début 2025, une fois l’exposition « Mémoires. Genève dans le monde colonial » achevée, pour pouvoir partager les avancées du processus engagé entre le Nigéria et les musées publics suisses, avec les publics du MEG.

Parcours Océanie

La section Océanie de l’exposition permanente « Les archives de la diversité humaine » a été en partie renouvelée. Dû à leur fragilité, certains objets ont dû être remplacés (par exemple quelques tapa et des objets décorés avec des plumes). Continuer à les présenter aurait pu engendrer des dommages importants.

Le changement le plus significatif concerne la présentation de restes humains. En 2014, lors de la réouverture du MEG, quelques objets constitués totalement ou partiellement de restes humains avaient été exposés. Leur présence se justifiait par l’aspect fondamental de leur usage rituel et parce qu’elle fournissait des clés de lecture pour comprendre leur culture d’origine. Dans un souci de transparence, ils étaient accompagnés d’explications sur leur signification, leur fonction, leurs conditions d’acquisition et sur le contexte d’utilisation. La position du MEG était de présenter uniquement les restes humains des communautés qui n’avaient pas ouvertement exprimé leur désaccord. Cependant, compte tenu des changements et des discussions en cours sur ce sujet sensible, ce qui était considéré comme acceptable en 2014 ne le serait plus dans un futur proche.

Pour la réouverture de l’exposition permanente en 2024, le MEG a pris la décision de continuer à exposer les restes humains uniquement après avoir obtenu l’autorisation de la communauté d’origine. Avec quatre musées et centres culturels de Polynésie française, Papouasie-Nouvelle-Guinée, la province indonésienne de Papouasie et Vanuatu ont débuté des échanges concernant la présentation de six restes humains. Les négociations ont aussi été l’occasion pour entamer ou continuer des discussions concernant les objets qui se trouvent au MEG. Trois de ces quatre institutions ont répondu et ont autorisé la présentation de quatre restes humains. Un interlocuteur n’a pas répondu malgré les nombreuses sollicitations, mais cela s’explique avec une situation de transition délicate dans la direction du musée.

Dans l’exposition permanente les restes humains ayant reçu l’autorisation sont signalés avec un bandeau jaune indiquant les objets pour lesquels le MEG a entamé un dialogue : les deux autre pour lesquels pour le moment, aucune réponse n’a été obtenue ont été retirés, mais leur cartel reste visible avec la mention « Dialogue en cours ».

Parcours ethnomusicologie

Les deux grandes vitrines consacrées à la présentation des collections d’instruments de musique ont été conçues en 2014 pour rendre compte du foisonnement de la facture instrumentale sur les cinq continents. Une soixantaine d’instruments y sont présentés, en lien avec une cinquantaine de pièces musicales qui permettent d’écouter les instruments dans leur contexte de jeu. L’une des vitrines (n°18) est structurée selon la classification organologique, un choix qui avait été motivé par le souhait de montrer des instruments provenant de tous les continents et de faire écouter un grand nombre de répertoires musicaux de toute provenance.

Ce plan de conception montre des limites évidentes, notamment parce que la classification ne rend pas justice aux conceptions autochtones de ce que représente localement un instrument de musique, et impose aussi des contraintes muséographiques majeures : l’option radicale de vider la vitrine pour y construire un nouveau parcours n’étant pas envisageable pour l’instant, les seules modifications possibles sont de remplacer un type précis d’instrument par un autre. Il a aussi été décidé de garder en place la vitrine qui retrace les grands moments de l’histoire de l’ethnomusicologie au MEG (vitrine n°20), de la fondation des Archives internationales de musique populaire par Constantin Brăiloiu en 1944 jusqu’aux travaux de recherche de Laurent Aubert.

Le choix a donc été faits de limiter la rotation aux instruments présentant des risques de dégradation lié à une exposition prolongée, notamment à la lumière. Le seul changement notable concerne le rhombe d’Australie qui était autrefois présenté et qui a été retiré, par souci de cohérence et de respect du point de vue des communautés autochtones, pour qui le rhombe est avant tout utilisé comme objet rituel, associé à certains interdits, et non comme instrument de musique. En lieu et place a été installé l’un des trois hautbois duduk offert au MEG par la Mission permanente de la République d’Arménie à Genève en mars 2023. Cette donation vient combler une lacune importante dans les collections du MEG, qui jusqu’ici ne possédait aucun duduk, alors même que cet instrument a une valeur emblématique et identitaire majeure pour le peuple arménien. Ce duduk provient d’une série d’une centaine d’exemplaires fabriqués dans les années 2000 et accordés par Maître Jivan Gasparyan, qui est aussi l’interprète de la pièce musicale à écouter en lien avec l’instrument.