Amazônia

Dossier préparé par Madeleine Leclair

Amazônia est le titre d’une création de Jean-Michel Jarre intégrant des archives sonores du MEG, composée à l’occasion de l’exposition Salgado Amazônia, présentée et conçue par le Musée de la musique - Philharmonie de Paris, du 7 avril au 31 octobre 2021.

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Rio Jaú Etat d’Amazonas

Rio Jaú. Etat d’Amazonas, Brésil, 2019

De 2013 à 2019, Sebastião Salgado a sillonné l’Amazonie brésilienne, photographiant la forêt, les fleuves, les montagnes, les peuples qui y vivent. Cet univers a imprimé dans l’œil du photographe des images saisissantes, dévoilées pour la première fois au public du Musée de la musique. Accompagnées de la création sonore Amazônia, cette exposition est une invitation à voir, à entendre en même temps qu’à penser les questions écologiques et la place des humains dans le monde vivant.

L’exposition Salgado Amazônia présente aussi deux salles d’écoute accueillant de grandes projections des photographies de Sebastião Salgado accompagnées des musiques de Heitor Villa-Lobos et Rodolfo Stroeter, ainsi que cinq films produits pour l’exposition qui livrent les témoignages de personnalités indigènes plus spécifiquement brésiliennes.

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Amérindiens Marubo

Amérindiens Marubo, vallée de Javari. État d’Amazonas, Brésil, 1998

Création musicale et archives sonores

Commandée par le Musée de la musique - Philharmonie de Paris à l’occasion de l’exposition Salgado Amazônia et composée par Jean-Michel Jarre, l’œuvre éponyme Amazônia, intègre une quarantaine de sources sonores enregistrées en différents endroits d’Amazonie entre les années 1960 et 2019.

Entretien avec Jean-Michel Jarre au sujet de sa composition Amazônia
Entretien réalisé le 14 juin 2021 par Madeleine Leclair (conservatrice au Musée d'ethnographie de Genève)
à l'occasion de l'exposition Salgado Amazônia présentée par le Musée de la musique-Philharmonie de Paris.
35'15''
Photographies : Sebastião Salgado
Musiques : enregistrements issus des archives sonores du MEG et "Amazônia, Part 1" par J.-M. Jarre @Jean-Michel Jarre, Sony Music
Images et son : Johnathan Watts
Montage : Johnathan Watts
@2021 MEG

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amazonia JM Jarre

Composition, production et mixage par Jean-Michel Jarre au JMJ Studio.
Edition : Jean-Michel Jarre
Durée totale : 52'47
℗ 2021 Jean-Michel Jarre

En 2016, le MEG s’est associé à un réseau de chercheurs en anthropologie des milieux sonores amazoniens pour la création du projet Contes sonores, une installation immersive basée sur des archives sonores et présentée dans l’exposition Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt présentée au MEG de mai 2016 à janvier 2017 (commissaire : Boris Wastiau).

L’installation invitait le grand public à expérimenter de manière sensible et contextualisée les conceptions mythologiques et les pratiques sonores de certaines communautés amérindiennes.

Les résultats de ces recherches ont été présentés à Jean-Michel Jarre en janvier 2020 au MEG. Des échanges et discussions qui ont eu lieu concernant l’expérience auditive telle qu’elle est vécue par les populations amérindiennes d’Amazonie est née l’idée de mettre à la disposition de Jean-Michel Jarre les archives sonores du MEG et celles d’autres anthropologues spécialistes d’Amazonie pour la création d’une œuvre musicale à présenter dans l’exposition Salgado-Amazônia.

L’œuvre Amazônia a donné lieu à la publication d’un disque dont une partie des redevances sera réservée pour être intégralement reversée aux communautés d’où proviennent ces enregistrements.

Mondes sonores d’Amazonie

Le rapport qu’une personne entretient avec son environnement et la façon dont elle envisage l’expérience du monde qui l’entoure dépendent de la perception qu’elle s’en fait. En Occident, la vue et le toucher sont les sens dominants. En Amazonie, c’est avant tout par l’ouïe, et donc le son, que la mise en relation de soi avec le reste du monde s’établit.

Selon la perspective amérindienne, le son (la musique, les bruits, etc.) permet aux êtres humains, aux êtres invisibles et aux animaux d’entretenir des liens entre eux, de communiquer. Par ailleurs, le souffle sonore des voyants-guérisseurs, personnages jouant un rôle clé dans les sociétés amazoniennes, est un média par excellence pour établir des relations entre les humains et les êtres invisibles. La présence du souffle se manifeste par la voix (chants, cris rituels), mais aussi par les flûtes, les clarinettes et tous les autres instruments à vent qui le canalisent et en transforment la sonorité.

L’importance fondamentale que représentent, pour les populations d’Amazonie, l’audition, la perception et la production du son inspire de nombreux artistes, créateurs et thérapeutes. Elle captive aussi nombre d’anthropologues. Etudiées par plusieurs générations de chercheurs, les musiques et productions sonores amérindiennes ont ainsi fait l’objet de nombreux enregistrements.

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chef du village wayana d’Anapuaka

Kuyukpe dit Dondon, chef du village wayana d’Anapuaka, ami et collaborateur de l’ethnologue Daniel Schoepf. Brésil, État du Pará, Rio Paru. Photo : Daniel Schoepf, 1987

Archives sonores d’Amazonie au MEG

Le MEG conserve un fonds d’environ quarante heures d’archives sonores d’Amazonie, dont une trentaine est faite des enregistrements réalisés in situ au Brésil (Mato Grosso, Rondônia, Pará) et en Guyane entre 1968 et 1992 par d’anciens collaborateurs du musée.

Entièrement numérisées, ces archives sont remarquables à plusieurs titres. Tout d’abord, elles ont été recueillies par des spécialistes des milieux amazoniens au terme de longs séjours de recherche. Ensuite, elles sont accompagnées d’une abondante documentation ethnographique : noms des rituels au cours desquels les musiques sont performées, description détaillée des performances, nom des interprètes, fabrication des instruments de musiques, etc. Enfin, la bonne qualité des prises de son, parfois réalisées dans des conditions difficiles, témoigne avec justesse de l’importance et de la grande diversité des expressions sonores en Amazonie.

C’est autour de ce fonds d’archives qu’une première rencontre fut organisée au MEG, en janvier 2020, en présence de Jean-Michel Jarre accompagné de son agente Fiona Commins, de Marie-Pauline Martin et Marion Challier, respectivement directrice et responsable des expositions au Musée de la musique-Philharmonie de Paris, de Matthias Lewy, anthropologue spécialiste des milieux sonores d’Amazonie, de Boris Wastiau, directeur du MEG, et de moi-même.

L’idée était avant tout de présenter à Jean-Michel Jarre le contenu de ces archives sonores et les conditions dans lesquelles elles ont été réunies. Il s’agissait aussi d’évoquer comment et pourquoi la perception auditive des amérindiens est en relation avec leur connaissance du monde. Sans surprise, les échanges entre nous ont conduit à aborder la ligne artistique générale imaginée par Jean-Michel Jarre pour sa création. L’orientation initiale était essentiellement axée sur les sons de la nature. Le projet de composition a finalement pris un chemin plus large pour englober tout l’écosystème amazonien, c’est-à-dire les traces sonores humaines, en écho à la perspective animiste amérindienne selon laquelle les êtres humains et non-humains partagent une même intériorité.

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Le mérèrémeit

Le mérèrémeit, grande cérémonie des Kayapó Xikrin, a pour but de confirmer les noms cérémoniels qui ont été attribués. Brésil, état du Pará, Rio Cateté. Photo René Fuerst, 1963-1966

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Iodno guérisseur

Iodno, guérisseur Kayapó dansant avec un hochet d’usage courant chez les voyants-guérisseurs. Brésil, État du Pará, Rio Cateté, Kayapó Xikrin. Photo René Fuerst, 1965

Au final, l’œuvre Amazônia intègre une quarantaine de sources sonores enregistrées en différents endroits d’Amazonie entre les années 1960 et 2019. Ces sources proviennent des supports d’archives originaux (bandes magnétiques et cassettes audio) ou de disques édités dont un exemplaire est conservé dans les archives du MEG, ainsi que des archives personnelles de quatre chercheurs spécialistes des milieux sonores amazoniens : Jean-Michel Beaudet (enregistrements réalisés en Guyane en 1978, 2015 et 2019), Bernd Brabec de Mori (Pérou, 2004-2005), Matthias Lewy (Venezuela 2006 à 2015) et Pierre Salivas (Pérou, 1991 à 1994).

Les sources d’archives

L’œuvre Amazônia a une durée totale de 52’47’’. Les treize sources d’archives présentées sont intégrées à des moments bien précis, identifiés sur cette time line.

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chrono

1. Cérémonie d’imposition des noms
Brésil, Pará. Kayapó. 1978

2. Imitation des animaux
Brésil, Pará. Wayana-Apalai. 24 mars 1972

3. Cueillette des fruits de palmier wasey
Guyane, haut-Oyapock. Wayãpi, Juin 1977

4. Forêt, le matin
Guyane, haut fleuve Sinnamary. Octobre 1978

5. Chants d’oiseaux et crépitement du feu
Pérou, vallée d’Ucayali. Shipibo. 2009

6. Séance de guérison
Équateur, environs d’Otavalo. Shuar

7. Iwa moyeupi, chant «pour faire monter le ciel»
Guyane, haut Oyapock. Wayãpi. Août 1981

8. Pêche rituelle avec des lianes
Brésil, Pará. Mekrãgnotí. 1978

9. Cérémonie d’imposition des noms
Brésil, Pará, basse vallée du Rio Xingú. Kayapó. 1955

10. Solo de flûte
Pérou, vallée du Cenepa. Awajún. 2004-2006

11. Séance rituelle d’ingestion d’ayahuasca
Pérou, vallée d’Ucayali. Shipibo. 2001, 2002, 2007

12. Chant d’amour magique avec fumée de tabac
Pérou, région d’Ucayali. Yine. 2004

13. Le mythe de l’homme perdu
Brésil, Pará. Wayana-Apalai. 1978