Recherche de provenance

Recherche sur sept instruments de musique présentés dans l'exposition Afrosonica - Paysages sonores
 

Préparation du dossier : Raphaela von Weichs
Coordination et conception infographique : Margaux Pittet
Supervision : Madeleine Leclair

L’exposition Afrosonica – Paysages sonores a été l’occasion d’entreprendre une recherche approfondie sur l’histoire de la provenance de huit instruments de musique, présentés en périphérie de la place centrale de l'exposition. Parmi la collections de deux mille cinq cents instruments de musique conservés au MEG, ces huit instruments ont été sélectionnés sur la base de plusieurs critères. Ils nous a semblé que chacun d'eux rayonne une énergie particulière liée à sa fabrication et à son usage comme outil sonore, dont les traces transparaissent parfois. La provenance de chacun raconte aussi l'histoire de la constitution des collections du MEG. Ces huit instruments sont pour nous des figures tutélaires ou Gardiens des connaissances. Nous espérons que par leur présence au centre de l'exposition ces instruments tissent des liens qui font sens, de multiples manières, entre les thématiques abordées. 

Cette recherche a été menée par Raphaela von Weichs, anthropologue culturelle et sociale spécialisée en étude africaine, qui a accompli une résidence de recherche de six mois au MEG dans le cadre du programme national de qualification de l'Université de Berne BNF (Beraten -Netzwerken – Fördern / Conseiller - Réseauter - Promouvoir). Ses recherches de provenance visent à rendre transparente les principales sources d’acquisition d’objets prélevés à l’époque coloniale et conservés dans un musée ethnographique ancien. Elles visent aussi à présenter différents contexte d'acquisitions : instruments de musique recueillis sur place par des missionnaires (pasteur Fernand Grébert, François Coillard) ; ayant circulés dans les réseaux des marchand.e.s d’art (Arthur Speyer, Jeanne Walschot) ; instruments ayant appartenu à des collectionneur.euse.s (Claire Bornand) ; collectés dans le cadre d’expéditions à vocation scientifique (Conradin Perner) ou lors de voyages ethnographiques faits par le personnel du MEG (Claude Savary, Marguerite Lobsiger-Dellenbach). 

Ces gardiens des connaissances sont accompagnés de divers documents : enregistrements sonores (extraits de conférences, lecture de carnet de voyage, etc.), lettres manuscrites, aquarelles, documents d’archives, photos, entretiens filmés. 

Méthodologie

Les recherches conduites par Raphaela von Weichs ont débuté en novembre 2023. L’équipe projet de l’exposition Afrosonica – Paysages sonores, composée des deux commissaires, Madeleine Leclair (conservatrice au MEG) et Ntshepe Tsekere Bopape (artiste et curateur d’exposition), accompagnés de Mathias Liengme (collaborateur scientifique) et de Nelly Pontier (cheffe de projet), travaillait alors à la conception de l’exposition. Le projet incluait un travail de recherche de provenance comme fondement contextuel de l’exposition.

Les recherches ont commencé par l’analyse d’une première liste d’une centaine d’instruments de musique, sélectionnés pour être exposés. Dans un premier temps, Raphaela von Weichs a consulté la base de données numérique du MEG, qui donne accès aux inventaires et éléments documentaires relatifs à chaque objet des collections. Dans la majorité des cas – mais pas toujours – deux documents sont disponibles pour chaque objet : une copie numérique du volume manuscrit original de l’inventaire, classé par année, et une transcription dactylographiée de la fiche descriptive originale contenant des données telles que le numéro d’inventaire, la description, la provenance, l’origine géographique, l’identité de la personne ayant transmis l’objet au musée, les matériaux, etc.

Le fait que les inventaires manuscrits datent de différentes périodes et de diverses étapes de la genèse du musée peut complexifier la recherche. Les objets des collections du MEG proviennent de nombreux collectionneurs privés, dont beaucoup sont genevois, ou sont hérités de précédentes collections publiques : Musée archéologique, Musée d’art et d’histoire (MAH), Musée Ariana (initialement un musée privé dédié aux arts décoratifs) et Musée de la Société des missions évangéliques de Paris (SMEP) à Genève.

Grâce à l’examen de ces inventaires, Raphaela von Weichs a pu identifier la provenance des instruments figurant sur la liste d’origine, ainsi que les noms des personnalités liées à leur collecte. Cette étape préliminaire a aussi permis de repérer les instruments pour lesquels les informations de provenance sont lacunaires voire inexistantes. Une grande partie de ces données a été complétée par des recherches en ligne dans des fonds d'archives accessibles sur internet, des catalogues de musées, des bibliothèques numériques et d’autres sources. Une part importante de la recherche a été effectuée à la bibliothèque même du MEG, où sont conservées des publications originales relatives à la plupart des collectionneur.euses, donateur.trices, missionnaires, etc. Le MEG conserve également les Archives internationales de musique populaire (AIMP), où ont pu être écoutés des enregistrements sonores faisant entendre certains instruments de musique, des performances, des émissions radio et parfois même la voix de personnalités impliquées dans la collecte des instruments. 

Au final, la recherche s'est concentrée sur huit instruments de musique, choisis sur la base des critères d’historicité, d’esthétique, d’état matériel, de biographie et d’identification de provenance. Raphaela von Weichs a pu examiner ces instruments dans les réserves d'objets du MEG afin d’évaluer leur facture, d’étudier les étiquettes et inscriptions anciennes qui sont des indices précieux sur le parcours muséographique des objets, et aident à identifier l'histoire de leur provenance. 

La recherche s’est poursuivie aux Archives d'État de Genève, qui conservent la plupart des fonds d'archives du MEG. Une grande partie de ce matériel est classée selon la période historique, le contexte (histoire administrative, histoire de la conservation, de l’archivage, des expositions, des missions ethnographiques, correspondances), le nom des membres du personnel du musée (directeurs, conservateurs, autres) et des donateur.trices ou vendeur.ses d’objets. A cela s'ajoutent de nombreux documents non classés, rendant la recherche de provenance relativement chronophage et parfois aléatoire.

En complément de ces sources, certains documents d’archives sont conservés au MEG. Ceux-ci ne sont que partiellement archivés et numérisés dans des bases de données audiovisuelles (photographies, films et vidéos), et ne sont donc accessibles ou identifiables que partiellement, souvent avec l’assistance du personnel du musée. 

D’autres sources importantes ont aussi été consultées aux Archives de la Bibliothèque de Genève et aux Archives de la Société des missions évangéliques de Paris, ces dernières étant numérisées et accessibles au public.

La recherche de provenance est un processus systématique, documenté dans des dossiers retraçant procédures de recherche, sources et résultats. Dans ce projet, la chercheuse a consigné ses résultats sous forme de récits biographiques des objets et de leurs collecteurs, fusionnant les deux en une narration commune, mettant ainsi en relation leurs histoires respectives. La recherche de provenance est certes une démarche scientifique, mais qui est intuitive, imprévisible et parfois fortuite. Selon l'état de classement des archives, leur accessibilité et les matériaux qu'elles contiennent, selon l’histoire de la conservation des objets et leur documentation, la recherche de provenance peut conduire à la découverte de documents inattendus. Ces trouvailles fascinantes peuvent inclure des carnets de voyage et de terrain ethnographique, des correspondances entre donateurs, marchands d’art et membres du personnel du musée.

Remerciements

Enfin, cette recherche de provenance a été enrichie par l'apport des collaborateur.trices du MEG, d’autres chercheur.es, institutions de recherche, archives, bibliothèques, musées, collectionneur.euses et leurs familles. L’historien Ian Menzies a grandement contribué à l’élaboration de la biographie de Claire Bornand et à la compréhension de sa vie en Zambie. La famille de Claire Bornand a donné son consentement à l’exposition d’extraits de son journal personnel et a fourni des critiques constructives et des informations précieuses. Le collectionneur et anthropologue Conradin Perner nous a accueillis chez lui, accordé un long entretien, et présenté sa collection privée sur les Anyuak du Soudan du Sud. Le personnel des Archives de la Ville de Genève, Jacques Davier et François Bos, ainsi que Claire-Lise Lombard de la bibliothèque du Service protestant de mission – Défap, ont fait preuve d’une grande générosité et d’un soutien précieux dans la recherche documentaire. Le Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren et le Musée d’ethnographie de Zurich ont également apporté une collaboration précieuse pour l’identification de sources potentielles. Nous leur exprimons notre profonde gratitude.

Note biographique

Raphaela von Weichs est anthropologue, rattachée à l'Université de Lausanne. Elle s'intéresse à l'histoire, à la matérialité, à la diversité et à la dynamique des cultures en Afrique. Elle est spécialiste certifiée en recherche de provenance sur les collections coloniales et l'art spolié. L'exposition Afrosonica - Paysages sonores au MEG a été sa première mission dans ce domaine de recherche émergent et fascinant. Par ailleurs, elle a mené des recherches sur le retour des rois et la reconstruction des sociétés claniques en Ouganda, ainsi que sur les pratiques religieuses transnationales dans la diaspora africaine suisse. Plus récemment, elle a coordonné le projet ERC-ARTIVISM (https://erc-artivism.ch) et publié ses travaux sur la bande dessinée, la peinture murale et les arts de la rue au Cameroun. Elle coordonne actuellement le projet de médiation scientifique FNS Agora ARTIVISM, et poursuit ses activités professionnelles dans le domaine de la recherche de provenance.