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George Huebner

George Huebner (1862-1935)

Un photographe à Manaus

SCHOEPF, Daniel. 2000. Catalogue d'exposition, avec la collaboration de Dorothée Ninck et Erica Deuber Ziegler. Préface de Charles-Henri Favrod.

Genève: Musée d'ethnographie, coll. Sources et témoignages No 5. 210 pages, 124 ill. n/b.

N° ISBN: 2-88457-009-8
Prix :39 CHF 25 CHF

«Voilà un grand photographe disparu corps et biens, qui refait surface grâce à l'obstination d'un biographe, Daniel Schoepf, dont j'ai plaisir à saluer l'immense travail. Il y a non seulement la quête des sources, leur vérification, l'enquête sur place, mais une remarquable analyse de la manière et du comportement photographiques de George Huebner, des premières années d'exploration amazonienne à la maîtrise commerciale urbaine, puis la conversion à la botanique imposée par la crise économique, mais qui n'empêche pas le photographe de triompher encore avec des vues végétales admirées par tous les spécialistes.

L'histoire de la photographie est toujours à faire. George Huebner, qui en avait été exclu, y fait sa rentrée avec des images incontestables. Le regard des indigènes sur le photographe, dans le singulier face-à-face du portrait, est désormais aussi un regard sur nous où s'incorpore George Huebner, constat de présence durable et émouvante.»

Extrait de la préface de Charles-Henri Favrod

Un rescapé de la mémoire

Le Musée d'ethnographie de Genève a présenté, du 3 novembre 2000 au 4 mars 2001, une exposition consacrée à un «rescapé de la mémoire»: George Huebner, photographe d'origine allemande, qui accomplit son premier voyage d'exploration en Amérique du Sud dans le dernier quart du XIXe siècle et se fixa par la suite à Manaus jusqu'à sa mort. Par un hasard de l'histoire, les archives du Musée sont en possession de deux albums de photographies frappées à son nom, offerts par un homme qui l'avait personnellement connu au Brésil, Oscar Dusendschön, banquier-caoutchoutier alors établi à Manaus, où il exerçait les fonctions de consul d'Allemagne et qui finit sa vie à Genève.

Cet «évacué de la mémoire» par les vicissitudes de l'époque et le mépris du crédit photographique, nous avons aujourd'hui le privilège de le faire revivre en lui restituant quelques-unes de ses images: portraits d'Indiens de la région d'Iquitos, vachers du Rio Branco, bourgeois de Manaus, reflets d'eau, façade de l'Opéra...

George Huebner, c'est un parcours professionnel exemplaire: tout d'abord, de 1888 à 1891, un travail pionnier à vocation iconographique mené à bien sur l'Ucayali, aux confins du Pérou et du Brésil; puis, de 1895 à 1920, vingt-cinq ans d'enregistrement de la mémoire visuelle de Manaus et de son arrière-pays; enfin, de 1921 à 1935, quinze ans d'ultime enracinement en terre amazonienne, consacrés à herboriser, collecter, documenter et photographier palmiers, orchidées et autres arantacées. Le personnage s'affirme sans conteste comme l'une des figures de proue de cette deuxième génération de pionniers de la photographie brésilienne qui a accompagné le développement de la presse, de l'imprimé photographique et de la documentation iconographique dans le nord du pays, à un moment particulièrement significatif et fastueux de son histoire: celui du boum du caoutchouc.

Huebner, c'est aussi un studio, baptisé «Photographia Allemã», qu'il fit prospérer et qui connut son heure de gloire dans la Manaus de la belle époque, mais dont l'enseigne, reprise par ses successeurs allait être porteuse de désastre pour des milliers de documents durant la Deuxième Guerre mondiale, lors de la mise à sac des bien des Italiens et des Allemands de la métropole amazonienne en 1944. Huebner, pourtant, était déjà mort depuis près de dix ans et l'établissement n'avait plus d'«allemand» que la renommée de son fonds de commerce! Toute une imagerie régionale, dont on ne pourra jamais plus que rêver, a donc ainsi été pillée, dispersée ou détruite, un témoin de la déprédation allant même jusqu'à préciser que certaines plaques photographiques auraient été «lavées et récupérées pour leur seule qualité de verre». Si l'on ajoute que le photographe était né à Dresde où résidaient sa famille et son éditeur, qu'il avait de surcroît adressé ses dernières images de palmiers et d'orchidées aux spécialistes des Jardin et Musée botaniques de Berlin, on comprendra que ses négatifs et ses tirages – pillés, rasés ou bombardés – n'ont pas eu de chance.

George Huebner a pourtant été à ce point actif et entreprenant – mais aussi fidèle dans ses amitiés – que, malgré toutes les déprédations subies, les vestiges de son travail (cartes postales, publications illustrées, plantes tropicales qu'il a récoltées et qui portent son nom, vingt ans de correspondance avec l'ethnologue Theodor Koch-Grünberg) mis bout à bout, finissent par constituer un corpus de témoignages et d'images d'une importance majeure pour la connaissance de l'Amazonie du tournant du XXe siècle.