Dans les coulisses de l'exposition "Dubuffet, un barbare en Europe"

Quelques traitements de restauration

Lucie Monot et Isabel Garcia Gomez

A confiner les œuvres dans les musées, on empêche qu’elles soient reçues dans la cité vivante ; on les dote d’un caractère intouchable, interdit, qui détourne le public d’en faire usage.

Jean Dubuffet (Dubuffet 1995 : 23-24)

Introduction

Après une création au Mucem à Marseille et une présentation à L’IVAM, à Valencia, l’exposition «Jean Dubuffet: un barbare en Europe» termine son itinérance au Musée d’ethnographie de Genève. Cette exposition présente l’œuvre de Jean Dubuffet dans toute sa diversité, en suivant le cheminement de sa pensée et la variété des œuvres et des individus qui l’ont inspiré. Elle est également l’occasion de montrer des pièces des collections du MEG que Jean Dubuffet (1901-1985) a pu voir lors de son voyage en Suisse en 1945, pendant lequel il a rencontré Eugène Pittard (1867-1962) et Marguerite Loebsiger-Dellenbach (1905-1993), alors directeur et assistante au Musée d’ethnographie. Pour l’atelier de restauration du MEG, c'était l’occasion de voir sur ses établis une variété de couleurs, de formes et de matériaux marqués par les aléas du temps, mais aussi de participer activement au "déconfinement" de quelques objets, en leur permettant d'entrer à nouveau en contact avec le public du musée.

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Vue de l’exposition Jean Dubuffet

Vue de l’exposition Jean Dubuffet: un barbare en Europe présentant des masques des collections du MEG.

Au-delà des échanges écrits qui indiquent quels objets ont été vus et ont marqué Jean Dubuffet lors de sa visite, ce sont d'anciennes photographies qui nous indiquent quelles pièces étaient alors exposées dans les salles du musée. Rares témoignages de cette époque, ces photographies permettent de retracer partiellement l’histoire de ces objets et l’évolution de leur état de conservation, et de voir comment la vie muséale a laissé ses marques sur des matériaux déjà fragilisés par leur voyage à travers terres et mers pour venir jusqu’à Genève.

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Vue d'une salle du Musée d'Ethnographie

Vue d'une salle du Musée d'Ethnographie à Mont Repos (MEG/ photographie d'archives).

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Trois sculptures malagan

Trois sculptures malagan dans l'exposition Jean Dubuffet: un barbare en Europe (MEG/Johnathan Watts).

46 objets du MEG sont sortis de leurs réserves, dans lesquelles ils attendaient depuis de longues années de pouvoir partager leur mémoire. Ils sont originaires de Papouasie Nouvelle-Guinée, des îles de Nouvelle-Irlande et de Nouvelle-Bretagne, du Groenland, d’Afrique subsaharienne ou encore de la vallée du Loetschenthal, en Suisse. On connaît les auteurs des œuvres peintes, Albert Lubaki et Bähaylu Gäbrä Maryam, tous deux actifs dans la première moitié du 20ème siècle. On ne connaît pas les noms des artistes et artisans qui ont réalisé les poteaux funéraires ou les masques. Dans ces derniers, il reste des trous et parfois des bouts de fibres, traces de manque. Ce sont les indices d’un passé glorieux où ces masques étaient parés de peaux, de textiles, de fibres, tous destinés à cacher le porteur afin de donner corps, le temps d’un rituel ou d’une procession, à d’autres êtres.

Restauration d’une sculpture Malagan de Nouvelle-Irlande

Isabel Garcia Gomez

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Sculpture Malagan

Sculpture Malagan avant traitement (MEG/Isabel Garcia Gomez).

La sculpture verticale ETHOC 009924 est une effigie travaillée en ronde-bosse qui provient de Nouvelle-Irlande. Si l'on sait que sa forme allongée de poteau la destinait à être exposée verticalement, ses fonctions rituelle et symbolique sont aussi complexes que sujettes à propositions d'interprétation. Probablement associée tant à une cérémonie funéraire qu'à la clôture d'un cycle d'initiation, elle était vouée à la destruction à la fin de la cérémonie pour laquelle elle avait été créée. Le destin en a voulu autrement car, avant de disparaître, elle a été collectée, puis au terme d'un long voyage elle est entrée dans la collection du MEG, en 1924, par l'intermédiaire du collectionneur Arthur Speyer (1894-1958).

La sculpture a été réalisée à partir d'un seul tronc, ajouré de manière à révéler des formes complexes faites d'alternances de creux et de pleins, entrelacements de motifs et de lignes créant des superpositions de figures animales ou végétales, surmontées d'une tête humaine. Ce travail relève d’une réelle prouesse technique, mais confère également à la sculpture une fragilité intrinsèque qui, outre le fait qu'elle n'était pas conçue pour survivre à ceux qui l'avaient créée, ne la destinait pas à voyager sur des milliers de kilomètres puis changer régulièrement de lieu et d'environnement. Or, de sa création à sa sortie des réserves pour l’exposition Dubuffet, un barbare en Europe, cette œuvre majestueuse a subi des contraintes climatiques et structurelles qui ont provoqué une fente, puis une autre, puis une autre, chaque nouvelle faiblesse en entraînant une nouvelle. L’ensemble de son ossature nous est donc parvenue très fragilisée, et la sculpture étant destinée à être exposée sans la protection d’une vitrine, il était indispensable de consolider sa structure.

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Relevé des altérations avant traitement

Relevé des altérations avant traitement (MEG/Isabel Garcia Gomez).

La statue avait fait l’objet de réparations dans le passé et plusieurs fentes anciennes étaient déjà recollées. Certaines s’étaient rouvertes, tandis que d’autres collages se révélaient encore assez solides pour soutenir la structure. Ces derniers ont été conservés, même lorsqu’ils présentaient un léger décalage, car une intervention de décollage aurait impliqué l’usage de solvants qui auraient endommagé la peinture, très sensible. Après une observation et un relevé précis de toutes les fentes et collages, il est apparu que les mouvements du bois, qui avaient modifié la structure pendant plus d’un siècle, ne permettaient pas de refermer les fentes sans créer de nouvelles tensions. Il était cependant indispensable d’intervenir, car si les fentes étaient laissées ouvertes, toute pression sur un élément relié à la structure par un seul point d'attache pourrait provoquer une fracture.

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Détail de fentes avant traitement

Détail de fentes avant traitement (MEG/Isabel Garcia Gomez).

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Détail de fentes après comblement

Détail de fentes après comblement avec des cales de bois de balsa (MEG/Isabel Garcia Gomez).

Un choix a donc été fait de combler les fentes dont les bords ne pouvaient se rejoindre sans exercer de tension sur la structure, par des petites cales de bois de balsa, sculptées sur mesure pour prendre la forme des lacunes. Ce bois étant extrêmement léger et souple, il permet de restituer une cohésion structurelle à l'ossature tout en permettant aux fibres de continuer à s’adapter aux changements climatiques, et ce sans créer de nouvelles tensions.

Restauration d’un masque Tatanua de Nouvelle-Irlande

Isabel Garcia Gomez

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Masque Tatanua avant traitement

Masque Tatanua avant traitement (MEG/Isabel Garcia Gomez).

Acquis en 1924 par l'intermédiaire du collectionneur Arthur Speyer, ce masque Tatanua, originaire de Nouvelle-Irlande, réunit autour d'une structure de noix de coco une grande diversité de matériaux: bois d’Alstonia scholaris, bambou, roseau, fibres végétales, tapa, cheveux, bogues, opercules de Turbo petholatus, chaux, et enfin pigments noir et bleu, ou ocre rouge. Associé à un rituel funéraire, ce masque était à l'origine prolongé d'un pagne fabriqué à partir de feuilles, qui dissimulait le corps du danseur qui le portait. S’il possédait la résistance nécessaire pour supporter la vivacité des mouvements de la danse, il avait vocation à être éphémère, détruit après avoir accompli son rôle auprès de la communauté qui l'avait créé.

Sa collecte, puis son intégration dans une collection, ont généré le besoin de prolonger sa vie, chose peu aisée du fait de sa construction à partir de matériaux périssables. Dès lors, comme cela se produit souvent au long du parcours d’un objet dans une collection muséale, le masque a souffert de son environnement de conservation, mais aussi de manipulations et de conditionnements qui ont fait pression, de manière ponctuelle ou prolongée, sur ses matériaux. Les cheveux de sa coiffe se sont emmêlés et couverts peu à peu de fragments de chaux détachés, ses fibres se sont peu à peu desséchées et en sont devenues cassantes, et ses matériaux par nature poreux et absorbants se sont laissés imprégner de poussière. Ces altérations sont fréquentes pour ces typologies d’objets composites, et peuvent être perçus comme le simple passage du temps. Plus gênant pour sa lisibilité est la perte de matière dans les zones colorées de son visage : des lacunes de la surface peinte attirent le regard et modifient la perception de ses traits. Un autre dommage attire moins le regard, mais constitue en réalité la plus grande perte de son intégrité physique et symbolique. Il s’agit de nombreuses petites piques, à l’origine plantées drues sur le côté droit de la coiffe, qui ont été en totalité cassées, repliées contre la chaux ou, malheureusement, pour la plupart disparues.

L’intervention envisagée a pris en compte les besoins de conservation, tels qu’un dépoussiérage général et une consolidation des éléments risquant de disparaître aux prochaines vibrations subies par le masque. Des tiges de roseau qui s’étaient détachées de la coiffe ont été repositionnées et arrimées à la structure par de fines attaches de fil de soie.

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Consolidation des piques de bois

Consolidation des piques de bois (MEG/Isabel Garcia Gomez).

Ce traitement étant destiné à son exposition et, donc, à sa présentation au public, il a fallu également s’interroger sur ce qu’il était important de restituer afin que ce masque soit perçu non dans l’état de sa création, mais de manière à véhiculer les intentions expressives de sa physionomie et de ses parures ornementales. Il a donc été décidé de redresser les piques qui pouvaient l’être, afin de rendre au masque un caractère de puissance qu’il avait perdu. Au passage, la chaux qui, fragilisée par la pression des piques et les chocs subis au cours de sa vie, s’était segmentée, a été très légèrement dépoussiérée et refixée quand cela s’avérait indispensable.

Des écailles de la surface peinte du visage, qui risquaient de se détacher bientôt, ont été refixées à l’aide d’un adhésif souple et léger. Ce sont les seules interventions qui ont été faites sur la peinture, afin de ne pas risquer une imprégnation générale de la surface par un adhésif qui, à long terme, pourrait créer plus de tensions qu’apporter un soutien durable, et dénaturerait dès à présent la composition de la peinture. Les lacunes de cette couche picturale ont ensuite été atténuées par une légère coloration, qui laisse percevoir qu’il ne s’agit pas de la peinture originelle, mais permet que le regard ne soit plus attiré en premier lieu par elles.

Pour ce type d’objets composites, aux éléments dépendants d’une structure fragilisée, le geste essentiel de conservation consiste à éviter de futures manipulations qui apporterait des pressions sur les zones les plus à risque. Une boîte a donc été fabriquée, dotée d’une fenêtre, afin que le masque ne soit plus manipulé en dehors de situations d’étude ou d’exposition qui le nécessiteraient absolument.

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Masque Tatanua après traitement

Masque Tatanua après traitement (MEG/Isabel Garcia Gomez).

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Boîte de conservation

Boîte de conservation (MEG/Isabel Garcia Gomez).

La restauration (toute relative) d’un masque Mengen de Nouvelle-Bretagne : ce masque n’est pas un duk-duk

Lucie Monot

Contrairement à l’identification faite par Marguerite Loebsiger-Dellenbach dans un article publié en 1944 et présenté dans l’exposition Jean Dubuffet, un barbare en Europe, ce masque ETHOC 016418 n’est pas un Dukduk des Tolaï du nord de la Nouvelle-Bretagne. Il s’agit d’un masque Mengen, une population du sud de l’île. Ce type de masque a plus largement été étudié chez leurs voisins Sulka et son nom générique est hemlout, qui signifie ‘vieil homme’ et qui fait référence à l’ancêtre masculin. Il a été donné au musée d’ethnographie de Genève en 1940 par l’ethnologue Felix Speiser (1880-1949), directeur du musée d’ethnographie de Bâle de 1942 à 1949, qui l’a vraisemblablement collecté entre 1929 et 1930 lors de son voyage en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et en Nouvelle-Bretagne notamment.

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Extraits de l’article de Marguerite Loebsiger-Dellenbach

Extraits de l’article de Marguerite Loebsiger-Dellenbach,

«Les masques dans le monde. III Le masque en Nouvelle-Guinée », p. 3.,

publié dans le numéro 5 du Bulletin mensuel des musées et

collections de la Ville de Genève
 en septembre 1944.

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Masque hemlaut, Mengen

Masque hemlaut, Mengen, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Bretagne

orientale, Mengen, premier quart du 20 e siècle, acquis de

Felix Speiser en 1940. MEG Inv. ETHOC 0167418. (MEG/Lucie Monot)

Constitué d’un cône surmonté d’une ombrelle, ce masque se termine dans sa partie inférieure par une collerette de feuilles. Une vannerie faite de rotin et de bois forme la structure porteuse sur laquelle est tissée de la moelle de liane à l’aide d’un fil très fin et très résistant qui est extrait de la feuille de bananier. Le cône central est séparé en deux moitiés par un cerclage en écorce peinte de lignes ondulantes rouges, noires et jaunes. L’ombrelle est recouverte d’une vannerie en rotin peinte de motifs géométriques noirs et blancs sur l’extérieur, et sa partie inférieure est divisée en quatre quarts donc deux sont recouverts d’un tissage de fines lamelles de bois semblable à du balsa et peintes de formes ondulantes noires et vertes et les deux autres d’un tissage de moelle végétale sans décor. La partie inférieure est ornée d’une frange entourant la base du masque et composée de deux types de feuilles: une rangée de feuilles jaunes fixées à leur tige et une autre rangée de feuilles de couleurs plus foncées, pliées en deux dans un tissage de fibre. Lorsque le masque était porté, un manteau de feuilles beaucoup plus long recouvrait le porteur qui restait ainsi caché et secret. Les matériaux cités sont identifiés sur la base de comparaison avec les données trouvées dans la littérature (Hill 2011 ; Jeudy-Ballini 2001 ; Peltier et al. 2006). Une étude plus poussée sera nécessaire pour valider ces identifications.

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Détail de la partie centrale du masque

Détail de la partie centrale du masque, le cerclage en écorce et le tissage en moelle de liane. (MEG/Lucie Monot)

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Détail de la frange entourant la base du masque

Détail de la frange entourant la base du masque. (MEG/Lucie Monot)

Ces matériaux ont largement souffert des aléas du temps. Si la structure porteuse est restée très stable, les autres matériaux présentent d’importantes altérations. Une couche de poussière généralisée s’y est imprégnée avec le temps et a participé de l’altération des couleurs. Toutes les matières végétales se sont desséchées et sont devenues cassantes et friables, en particulier les feuilles de la collerette qui sont de ce fait très fragiles et instables. La moelle végétale et les feuilles ont été appréciées par des petits insectes qui ont laissé des traces et des trous. Enfin, les fragments de bois de balsa découpés en triangle et retrouvés avec le masque semblent avoir formé autrefois une guirlande au-dessus et au-dessous du cerclage en écorce peinte. C’est la photographie illustrant l’article cité plus haut qui nous permet de supposer cela, ainsi que des fragments de fil fin brisé et encore présents aux endroits où ils ont dû servir d’attaches. Après un important dépoussiérage de toutes les surfaces accessibles, les éléments fracturés qui pouvaient être joins à nouveau ont été recollés ou consolidés à l’aide de colle d’amidon de blé. C’est le cas pour certaines feuilles de la collerette et pour la guirlande de triangle de balsa qui a ensuite été replacée à l’aide de fils de soie.

Réalisé par les hommes à l’écart des villages, ce type de masque ne devrait être vu que lorsqu’il est fraîchement réalisé. Il n’est porté qu’une seule fois, après des mois de fabrication, lors d’une cérémonie d’initiation, de mariage ou d’une autre occasion festive. Ensuite, il est détruit ou brûlé. Au-delà de son rôle médiateur avec le monde des ancêtres et des esprits, le masque est fait pour impressionner par sa beauté, par la qualité de sa facture et par l’effet visuel qu’il produit lorsqu’il est dansé. Ainsi, comme l’explique Monique Jeudy-Ballini, la beauté d’un masque participe «de son destin d’objet éphémère» (Jeudy-Ballini 1999 : 10). Alors qu’il est censé impressionner par ses couleurs éclatantes, celles-ci se décolorent avec le temps, pendant que les matières végétales se dégradent et se fragilisent. On peut se demander «comment, pour qui ne les a jamais vues danser, se représenter ce que furent ces apparitions avant leur pétrification en choses muséographiques ?» (ibid. : 11). Toute restauration tentée sur un objet de ce type a quelque chose de très relatif. Non seulement les matières ont souffert des aléas du temps et il n’est plus possible de leur rendre leur éclat d’autrefois, mais la magnificence d’un tel masque associée à l’éblouissement qu’il provoque lorsqu’il est dansé ne pourra jamais être restauré.

Restauration d’un masque de deuil apouéma de Nouvelle-Calédonie

Lucie Monot

Le masque ETHOC 013326 avait été sélectionné pour l’exposition permanente du MEG «les archives de la diversité humaine» et il est donc sorti des réserves en 2013. Très poussiéreux, il présentait de nombreux dommages. Autant les plumes qui composent son manteau que les cheveux qui forment la coiffe avaient été attaqués dans le passé par la mite à habits Tineola bisselliella qui se nourrit de la kératine des matières animales. Il y a avait aussi des indices de réparations hâtives pour des besoins immédiats et des méthodes de suspension précaires faites avec les moyens du bord qui indiquaient que cet objet avait déjà été exposé dans le passé.

Originaire de Nouvelle-Calédonie, ce masque apouéma est complet. La figure en bois sculpté est complétée par une structure en vannerie qui couvre la nuque, semblable au tidi, la coiffe que portaient les hommes kanak. Une structure interne en tiges est surmontée d’une surcoiffe en cheveux humains. Au bas de la figure sont attachés une barbe faite de cheveux et un filet sur lequel sont fixées des plumes, vraisemblablement des plumes de notou, un oiseau appelé aussi pigeon impérial de Nouvelle-Calédonie.

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Détail du manteau de plumes

Détail du manteau de plumes avant restauration (MEG/Lucie Monot)

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Détail du manteau de plumes

Détail du manteau de plumes après restauration (MEG/Lucie Monot)

Ce type de masque était fabriqué pour être porté lors de la cérémonie de levée de deuil d’un chef kanak. Les cheveux humains qui le composent sont ceux des hommes qui ont porté le deuil et qui les ont laissés pousser toute la période entre le décès du chef et la cérémonie de clôture du deuil qui pouvait avoir lieu des années plus tard. Lors de la cérémonie, l’identité du porteur du masque restait secrète. Il voyait à travers les dents de la bouche entre-ouverte, les yeux du masque n’étant pas évidés, et des espaces libres dans le filet du manteau lui permettaient d’y passer les bras.

Autant pour la conservation des matériaux que pour la mise en exposition, une intervention de restauration était nécessaire. Le dépoussiérage général de tous les éléments a permis d’éliminer la poussière ainsi que les résidus d’infestations de mites présents sur les plumes et les cheveux. Ensuite, c’est la conservation du manteau de plumes qui a nécessité le plus d’attention car elles étaient non seulement endommagées mais aussi très enchevêtrées. De nombreuses plumes ont dû être remises en place, puis être nettoyées à l’aide d’un mélange d’eau distillée et d’éthanol pour retirer la poussière incrustée. Les barbes des plumes, très désordonnées, ont pu être partiellement réalignées grâce à l’apport d’humidité et une légère pression des doigts. Les rachis, rongés et fragilisés par les mites, ont été consolidés par l’adhésion de nouveaux rachis de plumes préalablement nettoyés, et par de petits comblements teints pour se fondre dans les couleurs des plumes. Enfin, les éléments de la barbe et des cheveux qui étaient partiellement détachés ont été refixés et des fractures dans la vannerie ont été consolidées par des petites baguettes de bois. Les anciennes restaurations hâtives ont été remplacées par des matériaux plus pérennes et compatibles avec les matières constitutives du masque.

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Masque de deuil apouéma

Masque de deuil apouéma, Kanak, Nouvelle-Calédonie, fin du 19e - début du 20e siècle. MEG Inv. ETHOC 013326 (MEG/Johnathan Watts).

Bibliographie

  • DUBUFFET Jean, 1995, «Dubuffet au musée», (1967) in Jean Dubuffet, Prospectus et tous écrits suivants, Paris : Gallimard, t. IV, p.23-24.
  • HILL Rowena Catherine, 2011, Colour and Ceremony: the role of paints among the Mendi and Sulka peoples of Papua New Guinea, Travail de MA, Durham University. http://etheses.dur.ac.uk/3562/
  • JEUDY-BALLINI Monique, 1999. «Dédommager le désir», Terrain. Anthropologie & sciences humaines, 32, p. 5-20. http://journals.openedition.org/terrain/2718
  • JEUDY-BALLINI Monique, 2001, «The ritual aesthetics of the Sulka, in Heerman Ingrid (dir.), Form Colour Inspiration: Oceanic Art from New Britain, Stuttgart: Arnoldsche, p. 106-115.
  • LOEBSIGER-DELLENBACH Marguerite, 1944, «Les masques dans le monde. III Le masque en Nouvelle-Guinée» in Bulletin mensuel des musées et collections de la Ville de Genève, 5, p. 3.
  • PELTIER Philippe, C. Binet, & I. Rousseau, 2006 «Les masques sulka de Nouvelle-Bretagne», Technè : la science au service de l'histoire de l'art et des civilisations, 23, p. 111-114.