Décoloniser la recherche de provenance

Expériences de co-construction des connaissances et de négociation du futur des collections coloniales

Conférence internationale

Auditorium du MEG

Mercredi 24 et Jeudi 25 novembre 2021

Propos

Il existe aujourd'hui en Europe de nombreuses initiatives dans le domaine de la «recherche de provenance» (RP) des collections coloniales, ainsi que beaucoup de conférences sur ce thème. La particularité de la proposition du MEG, Musée d'ethnographie de Genève, réside dans la réunion d'un panel international où la parole est donnée à six «tandems» de personnes ayant une expertise approfondie et des expériences originales en matière de recherche de provenance participative qui débouchent sur une co-construction des savoirs et diverses solutions de réappropriation. Ces binômes sont généralement composés à la fois de professionnel-le-s des musées et de porteurs et porteuses de culture issu-e-s de divers milieux, sans lien direct avec les collections suisses. Dans certains cas, d'autres voix sont invitées directement dans les présentations. Ces tandems sont appelés à rendre compte d'expériences communes de co-construction de méthodologies de recherche, de revitalisation des savoirs et pratiques autochtones, et de promotion de la créativité autour d'objets issus de collections coloniales contestées ou historiquement sensibles.

L'objectif de cette conférence est d'élargir le champ de réflexion autour de la question de la «recherche de provenance» dans une perspective décoloniale, c'est-à-dire critique, éthique, durable et équitable. Cela peut, et doit être, bien plus qu'une opération de recherche documentaire suivie d'un «partage de données», et plus qu'un éventuel traitement administratif visant à l’hypothétique retour physique d'un objet ou d'une collection pour des raisons morales ou légales. La RP décoloniale est une occasion unique de développer des relations équitables avec les porteurs et porteuses de culture lié-e-s aux collections d’origine coloniale dans les musées. Elle a donné lieu, dans certains cas, à des expériences diverses et enrichissantes. Les conférencières et conférenciers abordent la RP de manière originale et innovante : plutôt que de traiter les objets d'un point de vue purement archivistique, administratif et académique, comme cela se fait essentiellement dans les musées en Europe, la RP est ici abordée de manière plus large. Par son potentiel heuristique et relationnel, elle permet une nouvelle façon de penser : plus créative que méthodologique, plus expérimentale que systématique, plus engagée que disciplinaire, plus anthropologique qu'historique.

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Défense sculptée d’autel royal

Défense sculptée d’autel royal

Nigéria, royaume de Bénin

Edo. Vers 1735, règne de Oba Eresonyen.

Ivoire, traces de brûlures. H 155 cm, Ø 12 cm.

Saisie en 1897 lors de l'expédition punitive britannique dans la capitale du royaume de Bénin, cette défense a ensuite été publiée dès 1899 dans le catalogue de vente de W. D. Webster (Vol. 3, No. 19. Africa. 92, 5443). Acquise en 1948 par le Musée d'ethnographie de Genève auprès de la galerie Berkeley de Londres.

MEG Inv. ETHAF 021934

Photo: © MEG, J. Watts

Lorsqu'une délégation d'un peuple autochtone, par exemple, se rend dans un musée pour consulter des collections, ses membres ne font peut-être pas de «recherche de provenance» dans le seul but d'acquérir des connaissances historiques. Comme la représentante d'une Première Nation l'a gentiment dit un jour à l'un d'entre nous, ils n'ont pas vraiment besoin que des érudits occidentaux leur disent pendant combien de siècles ils ont subi l'oppression, ni dans quelles conditions ignobles ils ont été spoliés de leurs biens culturels. Ils partent souvent à la recherche d'objets qui ont une valeur spirituelle, qui ont une filiation avec les vivants, ou encore un potentiel à développer en termes de bien-être. Les approches de RP décolonisée, telles que discutées dans la conférence, peuvent permettre de faire revivre des récits ou des pratiques qui renforcent la cohésion du groupe, son identité ou sa mémoire. Leur méthode sera probablement davantage basée sur l'examen visuel des objets et des indices qu'ils présentent, que sur l'étude de documents d'archives, sans pour autant exclure ces derniers, évidemment. D'ailleurs, ce n'est pas tant la connaissance du mode d'acquisition ou de la spoliation de l'objet et de son auteur qui peut les intéresser, que les bénéfices potentiels d'une rencontre temporaire ou du rapatriement de l'objet même. Dans ce contexte, des liens de confiance, de dialogue et de collaboration engagée avec les personnes en charge de ces collections se construisent parfois sur de nombreuses années. De tout cela, les professionnel-le-s des musées au sens large peuvent apprendre beaucoup et adapter leur pratique de manière pertinente, plus respectueuse et mutuellement enrichissante. Développer des relations de confiance et des échanges équitables avec les communautés d'où proviennent les objets, dans des contextes parfois sensibles et toujours idiosyncrasiques, est l'un des objectifs stratégiques du MEG.

Au-delà de la simple identification des objets, et de leur provenance au sens strict, les intervenant-e-s à la conférence prennent en compte les aspects subjectifs de la relation à l'objet ou à la collection, l'aspect politique de la recherche et du rapport aux institutions, le potentiel éducatif et créatif de ces démarches, et la composante éthique intrinsèque au développement de relations de collaboration : explorer conjointement les archives, écouter les autres, collecter et confronter des données disparates, fusionner, diversifier et enrichir les récits, réactiver les savoir-faire, remémorer les savoirs autochtones, prendre des positions contrastées, promouvoir l'innovation et la multiplicité des manières de penser et de faire. En définitive, de telles approches vont bien au-delà du besoin de légalité et de transparence dans le domaine de la recherche de provenance telle qu’elle est couramment pratiquée dans les musées européens, ce en ajoutant la notion primordiale d'équité au cœur du processus de travail.

Aujourd'hui, les chercheurs et chercheuses suisses en provenance sont relativement peu impliqué-e-s sur le terrain dans les pays d'origine des collections, et collaborent encore rarement sur leur propre terrain avec des personnes dont l'origine ou le groupe social aurait une filiation avec les collections. Les présentations des intervenant-e-s refléteront toutes une approche plus décoloniale de la RP, ancrée dans une pratique expérimentale de terrain, favorisant la co-construction des savoirs et la négociation du futur des collections coloniales. Tel a été le principal critère de notre recherche d’intervenant-e-s. Aussi l'ouverture aux collections et aux cas coloniaux sans lien direct avec le contexte suisse devrait contribuer à une plus grande indépendance d'esprit et à une liberté de parole dans les débats.

Parmi ses objectifs stratégiques, le MEG entend favoriser à la fois la création et la co-construction des savoirs en questionnant ses collections et en développant de nouveaux liens avec les porteurs et porteuses vivant-e-s de culture et d'autres parties prenantes. L'objectif de cette conférence est donc de partager l'expérience et l'inspiration de ces intervenant-e-s avec la communauté muséale suisse, ainsi qu'avec les étudiant-e-s, tout en offrant un accès à un public aussi large que possible. Prenant la forme d'un think tank, cette conférence entend donner une impulsion intellectuelle et créative, favorisant le débat et ancrant le MEG dans une perspective résolument décoloniale et équitable pour les projets futurs. Cet événement pourrait être l'un des premiers jalons d'une pratique collaborative nouvelle et durable autour des collections sensibles, que nous souhaitons partager avec nos partenaires et notre public.

Cette conférence est rendue possible grâce au soutien de l'Office fédéral de la culture OFC.

Boris Wastiau et Aude Polito, organisateurs de la conférence.

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OFC

Programme

Mercredi 24 novembre 2021
8h15-9h Réception et café
9h-9h30 Introduction
9h30-10h30 Taonga, Te Moana, Tupaia: Réflexions du Rangiwaho Marae, un artiste, et un conservateur sur le retour des collections Cook du Royaume-Uni.

Khadija von Zinnenburg Carroll, Julie Adams, Kay Robin et Jody Toroa
10h45-11h45 Confronter les passés coloniaux, envisager des avenirs créatifs: Recherche collaborative sur les collections de Namibie au Musée ethnologique de Berlin.

Larissa Förster, Julia Binter et Golda Ha-Eiros
12h-14h Pause de midi
14h-15h Musée Maguta: Célébration de souvenirs historiques et de traditions ancestrales.

João Pacheco de Oliveira et Salomão Inácio Clemente
Jeudi 25 novembre 2021
8h45-9h30 Réception et café
9h30-10h30 Plus qu'un guulany (arbre): Systèmes de connaissances autochtones.

Brook Garru Andrew, Brian Martin, Roslyn McGregor et Kimberley Moulton
10h45-11h45 Yahguudang.gang: Honorer.

Jisgang Nika Collison et Lucy Bell
12h-14h Pause de midi
14h-15h Cosme & Damião: Un projet de collections jumelles pour le Musée national de Rio de Janeiro – Université fédérale de Rio de Janeiro (MN), Brésil, et le Musée d'anthropologie de l'Université de Colombie-Britannique (MOA), Canada.

Nuno Porto et Renata de Castro Menezes
15h15-15h45 Débat et conclusions
15h45-17h00 Apéritif

 

Programme [PDF 0.5 Mo]

 

Intervenant-e-s

  1. Khadija von Zinnenburg Carroll (Artiste, Historienne, Titulaire de la Chaire d'Art global à l'Université de Birmingham, Royaume-Uni), Julie Adams (Conservatrice responsable des Collections d'Océanie au British Museum, Londres, Royaume-Uni), Kay Robin et Jody Toroa (Ngati Rangiwaho, Ngai Tamanuhiri de la côte est d'Aotearoa, Nouvelle-Zélande)
  2. Larissa Förster (Cheffe du Département des biens culturels et des collections provenant de contextes coloniaux, German Lost Art Foundation, Berlin, Allemagne), Julia Binter (Anthropologue sociale, chercheuse en provenances au Staatliche Museen zu Berlin, Allemagne) et Golda Ha-Eiros (Conservatrice responsable de la Collection d'Anthropologie au Musée national de Namibie (NMN), Windhoek, Namibie)
  3. João Pacheco de Oliveira (Conservateur des Collections ethnographiques/SEE, Musée national de Rio de Janeiro (MNRJ), Professeur titulaire - Musée national, Programme d'études supérieures en Anthropologie sociale - PPGAS/UFRJ (Université fédérale de Rio de Janeiro), Brésil) et Salomão Inácio Clemente (Chercheur Tikuna, Musée Maguta, Benjamin Constant, Amazonas, Brésil)
  4. Brook Garru Andrew (Artiste, Professeur associé aux Beaux-arts, Wominjeka Djeembana Indigenous Research Lab à l'Université de Monash, Professeur d'entreprise et pratiques interdisciplinaires, University of Melbourne, Australie), Brian Martin (Artiste, Doyen associé autochtone, Directeur du Wominjeka Djeembana Indigenous Research Lab à l'Université Monash, Australie), Roslyn McGregor (Doctorante, Wominjeka Djeembana Indigenous Research Lab, Université Monash, Conservatrice des Collections aborigènes du sud-est au Museums Victoria, Melbourne, Australie) et Kimberley Moulton (Aîné Kamilaroi, Responsable de l'engagement communautaire à l'école secondaire du Walgett Community College, Président du Conseil local des terres autochtones Collarenebri, Australie)
  5. Jisgang Nika Collison (Directrice exécutive du Musée Haida Gwaii, Ḵay Llnagaay, Canada) et Lucy Bell (Doctorante, Université Simon Frazer, Colombie Britannique, Canada)
  6. Nuno Porto (Conservateur des collections d'Afrique et d'Amérique latine, Musée d'anthropologie de l'Université de Colombie-Britannique, Vancouver, Canada) et Renata de Castro Menezes (Directrice de LUDENS (Laboratoire d'anthropologie du ludique et du sacré/Laboratório de Antropologia do Lúdico e do Sagrado), PPGAS MN UFRJ, Rio de Janeiro, Brésil)